WASSIM HALAL ET POLYPHÈME EN CONNAISSENT UN REYONG

Sur des nattes subsahariennes, face à la Liberté guidant le peuple de Delacroix, ils sont huit à faire claquer leurs marteaux, le gong comme les reyong, la derbouka aussi. Autour d’eux, l’assemblée venue les écouter à l’Institut des cultures d’islam ressemble à leur musique, un gamelan transfiguré, tout aussi populaire qu’érudite. Il y a des jeunes et des anciens, des voisins et des gens venus de loin, il faut de tout pour faire un imaginaire. Après l’ultime prière du soir, le percussionniste franco-libanais Wassim Halal cavale agile de rythmes en rythmes, guide du doigt ses sept partenaires. Ils l’ont à l’œil pour cette première de Polyphème, un doux délire où défilent dans les oreilles des enchevêtrements de sons, des agencements rythmiques qui font songer à de drôles de bandes originales : ici un western tendance tantrique, là un suspense surréaliste. On croit entendre un clavier trafiqué, une guitare saturée, c’est juste les merveilleux prodiges du tout-en-un balinais.« Et pour changer, une polyrythmie ! » Le maître a l’humour qui pétille. Cette création, c’est en fait l’extension d’un thème, Rêve de Polyphème, qui figure dans le volumineux CD qu’a publié Wassim Halal fin 2018. Il a pour nom le Cri du cyclope, un triptyque qui cherche à aller plus loin que le classique disque de percussionniste. « Ma derbouka, c’est à la fois une percussion et autre chose. Ceci n’est pas un disque de démonstration », sourit en coin le compositeur né en 1986.

Tout se joue ici d’infimes décalages et d’indicibles asymétries rythmiques pour accoucher d’un univers hallucinant, habité de « mélodies fantômes » et d’obsédants leitmotivs. « Il s’agit d’une mise en scène sonore d’exagérations de certains codes, pour les tordre », reprend l’iconoclaste Halal pour qualifier cette fantasmagorie aussi délirante que les collages qui ornent la pochette. Réalisé par Benjamin Efrati et Diego Verastegui, deux copains des années lycée qui font partie comme lui du collectif Miracle, le livret fait figurer la Judith du Caravage tenant une tronçonneuse qui découpe en fines tranches de saucisson les jambes de Napoléon sur son lit de mort, un Léviathan transformé en pin-up brandissant une faucille et un marteau… Des scènes de danse dabke se font récurrentes en arrière-plan, rappelant que cet album s’inscrit dans l’Orient sans sombrer dans l’orientalisme. Nuance et sens du détail sont les clés pour pénétrer dans ce cabinet de curiosités.