On serait en droit de se méfier d’un triple album de percussionniste, mais Le Cri du Cyclope du joueur de derbouka et de doholla (percussion arabe basse) Wassim Halal est une œuvre riche, novatrice et maîtrisée. Le Franco-Libanais autodidacte, spécialiste des traditions des gitans turcs ou du répertoire dabkeh des mariages proche-orientaux, a conçu son œuvre comme un triptyque en synthétisant les fruits d’un laboratoire de créations, partagé avec une trentaine de musiciens férus comme lui d’improvisations. La richesse de ce travail tient à la diversité des cultures engagées et à la recherche raffinée exercée sur les timbres et les textures sonores. Sur le premier disque, la derbouka est mise en avant, révélant des possibilités évocatrices insoupçonnées. Les rythmes sont accrocheurs et les résonances saisissantes ouvrent grand la porte à l’imaginaire.
Le second volet présente trois pièces polyrythmiques, l’une en compagnie de joueurs de gamelan, la seconde avec deux saxophones et deux clarinettes, la troisième avec des cordes : violon, violoncelle et quinton d’amour. Le dernier disque voit le percussionniste assumer le rôle d’initiateur/accompagnateur lors de sessions principalement captées au Caire. Elles témoignent du brio des clarinettes mizmar du Aala Samir Band ou zurna du Bulgare Samir Kurtov, de la cornemuse émancipée du Breton Erwan Keravec, des saillies inspirées du oud électroacoustique de Gregory Dargent comme de l’émouvant chant du cygne de Gamalat Shiha, pilier des musiques populaires égyptiennes, disparue en mai 2018. De chaque situation, Wassim Halal a su tirer matière à nourrir un projet des plus personnel. Placée sous le signe du géant aveuglé par Ulysse, Le Cri du Cyclope est une odyssée visionnaire.
© Benjamin MiNiMuM/ Qobuz