Hélène de LACOSTE
Franco-libanais, Wassim Halal a grandi en France mais ses étés ont été marqués par le ciel du Liban-Sud. Son appartement était situé juste au-dessus d’une salle de mariage, et de sa chambre lui parvenaient les rumeurs de soirées animées par les pas de convives dansant la dabké au rythme de la darbouka. De là est né son intérêt pour cet instrument à percussion.
Improviser
De fil en aiguille, à travers des rencontres, Wassim Halal s’est formé en autodidacte en essayant de reproduire les tempos qui marquaient ses étés libanais. Avec, toujours, le même objectif en tête : rester au plus près de l’improvisation. Issue de la musique populaire ou plus expérimentale, cette dernière est sa principale source d’inspiration. « Cette activation de réflexes de jeu mis à l’épreuve à un moment donné avec une personne possédant les mêmes réflexes mène à la création d’un nouvel univers et c’est ce qui me nourrit », confie-t-il.
Au fur et à mesure, il a monté des projets avec différents artistes en privilégiant une certaine dynamique expérimentale dans sa musique, comme en témoigne son investissement dans le Ber.Ley.Bey, trio formé autour de musiques inspirées des Balkans. Mais c’est également la façon dont les instruments sont exploités qui l’intéresse. Son trio Revolutionary Birds, avec la voix de Mounir Troudi et Erwan Keravec à la cornemuse, en est un exemple. « On a chacun notre manière de détourner nos instruments, qu’il s’agisse de la voix, de la cornemuse ou de la darbouka, précise-t-il. En général, je travaille avec des gens qui sont issus des musiques populaires et qui cherchent, dans l’expérimentation, à trouver un ailleurs avec leurs instruments, à leur enlever leurs côtés identitaires. »
Quand AFAC (le Fonds arabe pour les arts et la culture) le soutient pour son CD solo, l’artiste cherche à réaliser un disque qui s’éloignerait d’un aspect trop « solistique ». Trois axes lui viennent alors à l’esprit, qu’il décide d’exploiter. À partir de ce squelette, il compose quelques propositions servant de base, tandis que le reste se précisera de lui-même, au fur et à mesure qu’avancera sa collaboration avec la trentaine de musiciens qui apparaissent sur l’album. Tirant sa force de l’énergie dégagée par l’interaction entre les musiciens, un curieux remue-ménage fait d’incantations, de jazz oriental, de cordes, d’anches et peaux a fait surface.
Triptyque
Dans le premier volet, la darbouka est brute, le rythme au centre des préoccupations. En arrière-plan, des mélodies mystiques comme des membres fantômes, qui seront reprises par la suite. Dans le deuxième, où n’apparaissent que des doublons d’instrument, trois points de vue sur la polyrythmie se confrontent. Le troisième voit naître une sorte de bourdon qui progresse en même temps que l’intervention de voix et de bombardes, instrument à vent d’origine bretonne. Une unité travaillée notamment en phase de postproduction. « Il fallait qu’il y ait une unité dans le son. Il s’agissait ainsi de faire des choix afin qu’ait lieu une connexion d’un morceau à un autre », explique-t-il.
L’œil de Polyphème
Il a fallu également retravailler la matière afin de servir la narration du disque. Car est livrée, en parallèle, l’histoire connue de Polyphème. C’est le cri que pousse ce dernier lorsque Ulysse lui crève l’œil qui clôture le premier disque. En découle, dans le deuxième, son nouveau rapport à la vision. Enfin en guise de clôture, c’est sa voix, comme surgie des ténèbres, qui retentit.
Conjointement, des vidéos, imaginées et montées par le musicien en personne, détournent certaines traditions arabes. « Je n’aime pas du tout l’orientalisme, sous toutes ses formes : c’est pour moi une manière très identitaire de définir l’histoire coloniale, et je ne voulais surtout pas tomber dans ça », développe-t-il. Même chose pour la matière sonore. « Dans les musiques populaires, il y a tellement de matière et de richesse qu’en donner une vision lisse, c’est ne pas les aimer, ne pas les prendre au sérieux et ne pas comprendre qu’elles sont autosuffisantes », continue-t-il.
Un photomontage délicieusement décalé, jouant avec différents codes culturels, réalisé par Benjamin Efrati et Diego Verastegui, vient compléter cet objet culturel audacieux et non identifiable sur lequel il vaut la peine de s’attarder.